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La table ronde belgo-congolaise

La table ronde belgo-congolaise

« S’il faut des tuteurs aux jeunes arbres, il faut aussi les leur enlever au moment de leur développement, précisément pour ne pas l’arrêter… »

Léopold II, Roi des Belges.

Lettre à son ministre Charles Woeste, le 9 juin 1901

Allocution de Monsieur Gaston Eyskems, Premier Ministre

Messieurs,

II y a quelques semaines, présidant la séance inaugurale de cette Conférence de la Table Ronde, je vous disais que, dans l’intérêt et de la Belgique et du Congo, elle devait rencontrer un plein succès.

Ce succès, je crois pouvoir le dire sincèrement, est atteint. J’ai la conviction que l’unité fondamentale du Congo a été sauvegardée. Les bases des premières structures nationales de votre pays ont été définies de façon réaliste et solide. Tous, nous avons pris une pleine conscience de l’importance primordiale des problèmes économiques. Tous, nous nous sommes rendu compte combien serait nécessaire dans l’avenir une coopération étroite entre la Belgique et le Congo.

Sur un autre plan, non moins important, cette Conférence fut aussi un succès, car je pense qu’elle a consacré les bases d’une amitié véritable et sincère entre les peuples belge et congolais.

Messieurs les délégués congolais, vous avez, comme je vous y avais invité, parlé selon votre cœur. Vous avez, devant l’importance des questions débattues, fait preuve de sens des responsabilités et, d’autre part, vous avez pu, je n’en doute pas, vous convaincre de la franchise et de la loyauté totales de vos interlocuteurs belges.

L’indépendance vous avait été promise il y a plus d’un an. Il nous appartenait, autour de cette Table Ronde, d’en fixer les modalités et les délais. Cette tâche a été accomplie dans le temps le plus court. Elle l’a été, je ne crains pas de le dire, dans un climat de confiance dont l’histoire montre sans doute peu d’exemples.

Je vous avais demandé, Messieurs, à l’ouverture de vos débats, de nous parler en toute franchise, sans arrière-pensées, sans détours, sans amertume. Vous avez répondu à mon appel. Vous me permettrez, je n’en doute pas, à moi aussi, de m’adresser maintenant à vous dans ces mêmes sentiments.

L’œuvre que nous avons accomplie au cours de ces quelques semaines, remplies de travail et dominées par tant de soucis, doit trouver son prolongement logique dans l’avenir : par l’établissement d’une coopération vivante entre le futur État congolais et la Belgique.

Cette coopération ne peut se concevoir que si elle est basée sur une amitié profonde entre les deux États. Cette amitié comporte des devoirs réciproques : les dirigeants de l’État congolais en auront la pleine conscience.

Je puis, dès aujourd’hui, vous dire une nouvelle fois combien la Belgique mesure les responsabilités qu’elle aura encore à l’égard du Congo. La Belgique doit au Congo une aide d’ordre technique. Nous vous laissons, dans des conditions qu’ensemble nous avons déterminées, les cadres de la magistrature, de l’administration, du corps médical et sanitaire, de tous ceux qui se consacrent à l’action spirituelle, morale et sociale, au développement et à la prospérité économique de votre pays.

Le dévouement dont tant d’hommes ont donné la preuve, l’expérience qu’ils ont acquise au « cours des années, peuvent et doivent contribuer à assurer la solidité et le rayonnement de l’Etat congolais.

Nous n’ignorons rien de l’immensité des besoins en matière d’enseignement ; nous n’ignorons rien du désir ardent partagé par tant de vos compatriotes d’accéder à tous les stades de l’enseignement. Nous savons aussi combien les ressources sont limitées.

Nous sommes persuadés que le corps enseignant et les missionnaires, qui depuis tant d’années se dévouent à leur tâche, doivent poursuivre leurs activités.

Des établissements de recherche scientifique de grande valeur ont été installés sur le territoire même du Congo. Il importe qu’ils puissent se développer, car, ne l’oublions pas, c’est de ces recherches désintéressées, qui parfois peuvent paraître n’avoir aucun rapport avec les nécessités de la vie journalière, que dépendent en définitive tous les progrès de la vie économique.

Deux universités existent au Congo ; elles ont un rôle immense à remplir. La Belgique les aidera, mais elle sait que de plus elle doit laisser largement ouvertes aux Congolais les portes de ses propres universités.

Sur le plan financier, la Belgique est également consciente de ses devoirs : elle a prévu une aide substantielle pour faire face aux difficultés budgétaires, elle entend promouvoir les investissements publics et privés. Une saine gestion monétaire et financière, des investissements, des budgets en équilibre sont les indispensables conditions de l’expansion économique qui doit se poursuivre et qui est à la base de tout progrès social.

Tels sont, Messieurs, les devoirs que la Belgique conçoit en tant qu’État à votre égard. Elle sait aussi que cette coopération entre nos pays ne peut avoir son plein développement que si elle trouve son fondement sur un plan humain. Il faut, dès à présent, du côté des Africains comme du côté des Européens qui se trouvent au Congo, que s’entreprenne un effort immense, sincère et loyal pour adapter, de part et d’autre, les mentalités aux nécessités et aux nouvelles formes de notre collaboration.

Conférence de la Table Ronde

Messieurs, vous et les vôtres, vous allez assumer de lourdes responsabilités à l’égard de treize millions et demi d’habitants que compte le Congo, autochtones et blancs.

Il vous appartiendra de faire respecter les droits fondamentaux de ces hommes, de leurs personnes et de leurs biens.

Vous aurez aussi une responsabilité à l’égard de tout le peuple congolais. Sur la base de certaines structures originales qui vous sont propres, structures qui, sans doute, doivent être adaptées, mais doivent être considérées comme une part essentielle de votre héritage, il vous appartiendra de modeler une société nouvelle.

Le Congo, et c’est inévitable, va passer des moments difficiles. N’oubliez pas que peut-être, du dehors de vos frontières, il est des hommes avec des regards envieux, qui cherchent à tirer parti des moindres signes de faiblesse et de dissension.

Je tiens à remercier, à l’issue de cette Conférence, tous ceux, Congolais et Belges, qui par leur travail, leur largeur de vues, leur compréhension, ont contribué à son succès.

C’est, croyez-moi, du fond du cœur que je forme des souhaits pour que le futur État congolais soit prospère, pour qu’il soit stable, pour qu’il soit fort. Le destin du Congo ne sera jamais indifférent au peuple belge ; le temps est venu d’une collaboration fraternelle entre deux nations dont les destinées ont été étroitement unies par l’histoire pendant plus de quatre-vingts années ; elles sauront trouver ensemble, dans un esprit de coopération franche et loyale, les voies nouvelles d’un avenir toujours meilleur.

Je vous demande, Messieurs les délégués congolais, d’être auprès des vôtres les fidèles interprètes de notre confiance et de notre amitié.

■ Source : La table ronde Belgo-Congolaise

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