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Oblitération du droit de la défense par la Ceni : un défi à relever par la Cour constitutionnelle

(Tribune de Serge White Ndjibu)

Obligation du droit de la défense par la Ceni : un défi à relever par la Cour constitutionnelle

(Tribune de Serge White Ndjibu)

Dans une tribune aux allures d’une réflexion scientifique, Serge White Ndjibu, Rapporteur adjoint du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (Csac), fait une analyse fouillée sur l’ « Obligation du droit de la défense par la Ceni : un défi à relever par la Cour constitutionnelle »

  1. Liminaire

Par décision de la CENI N°001/CENI/AP/2024 du 05 janvier 2024 portant annulation des élections législatives, provinciales et communales, et des suffrages dans certains bureaux et centres de vote concernant 82 personnes, prise, selon la CENI, 82 congolais ayant régulièrement concouru au suffrage ont vu les suffrages régulièrement exprimés en leur faveur être unilatéralement et irréversiblement annulés par la CENI, sans aucune possibilité de recours de leur part. La CENI soutient avoir agi sur pieds des articles 29, alinéa 1, 30 alinéa 2 et 31 alinéa 3 de la Loi organique n°13/102 du 19 avril 2023 portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée à ce jour, conférant le pouvoir à la CENI de se saisir et être saisie de toute question généralement quelconque relevant de sa compétence et en délibérer, notamment de toute violation des dispositions législatives et règlementaires régissant les élections par les autorités politico-administratives, les partis politiques en compétition, les candidats, les électeurs, les observateurs et les témoins.

Toutefois, force est de constater que lesdits articles, dans leur esprit ou dans leur lettre, ne donnent pas compétence à la CENI de prendre arbitrairement une décision d’invalidation, car toute compétence doit être d’attribution. En effet, l’article 32 de la Loi organique précitée renseigne par-dessus le marché que «les membres de la CENI sont responsables de leurs actes dans les conditions du droit commun. Les décisions et actes des membres de la CENI font l’objet, suivant leur nature, de recours devant les Cours et Tribunaux ». Il appert qu’aucune de ces dispositions ne reconnaît à la CENI la compétence matérielle de prononcer l’annulation des scrutins des candidats. En conséquence, la décision de la CENI brille manifestement par un excès de pouvoir.

La CENI étant une institution administrative, lorsqu’elle s’écarte de ses missions par ses actes, devrait, de droit être soumise au juge administratif par procédure de référé-liberté pour en vérifier la légalité. Le référé fait partie des procédures spéciales communes aux juridictions de l’ordre administratif, telles qu’introduites par la Loi organique n°17/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, particulièrement en ses articles 278 à 320. Aux côtés du référé-suspension et du référé-conservatoire, le référé-liberté appartient à la catégorie des référés généraux ou référés d’urgence. Il aurait ainsi pu, le cas échéant, fonder le Conseil d’Etat à ordonner l’anéantissement total des effets de la décision décriée de la CENI, avec injonction à la centrale électorale de ne s’en tenir qu’à la proclamation des résultats provisoires de tous les candidats sans exclusive, tels que sortis des urnes. Car en prenant une décision qui préjudicie des citoyens ayant vaillamment concouru au suffrage, la CENI foule également aux pieds le principe sacro-saint du contradictoire garanti par les articles 19 et 61 de la Constitution, qui consacrent le respect des droits de la défense et le droit de recours au titre des droits et libertés fondamentaux. Il est clair qu’en décidant invariablement d’invalider certains candidats et leurs suppléants, en lieu et place des Cours et Tribunaux compétents en la matière, la CENI s’est rendue coupable de flagrant délit d’abus excessif du pouvoir.

  1. Le Conseil d’État en mode Ponce Pilate

Examinant à la sauvette et expéditivement les recours en référé-liberté déposés à son office par les candidats invalidés par la CENI en une seule journée du 10 janvier 2024, Le Conseil d’Etat s’est grosso modo déclaré incompétent pour se prononcer, de quelque manière que ce soit, sur les matières électorales dévolues exclusivement au juge constitutionnel. A l’issue de son audience à huis-clos du 12 janvier 2024, le Conseil d’Etat a soutenu sans sourciller que « la procédure des référés n’est pas prévue en matière électorale, mais uniquement contre les décisions administratives » ; un peu comme si la décision de la CENI n’en était pas une.
Le fait est que le Conseil d’Etat, saisi en bon ordre par les incriminés, s’est sommairement déclaré incompétent, laissant aux requérants le choix de saisir la CENI par recours gracieux, ou la Cour constitutionnelle in fine dans le cadre des contentieux relatifs aux résultats provisoires provenant de la CENI. De quoi faire perdre en conjectures le chargé de communication du Conseil d’Etat qui s’est entremêlé les pinceaux en se fendant d’un commentaire pour le moins amphibologique. « La décision qui est ici contestée », s’est-il expliqué, « trouve sa genèse dans le contexte des élections, matière qui est régie par une Loi spéciale, à savoir la Loi électorale qui n’a pas prévu la procédure des référés. La procédure des référés vise à obtenir des mesures provisoires de suspension d’une décision administrative, dès lors que celle-ci porte atteinte à une liberté fondamentale ». Pourtant il s’agit bel et bien dans le cas d’espèce du droit d’élire et d’être élu qui sont des droits fondamentaux. Cela s’appelle dire une chose et son contraire en même temps.

Face à un tel imbroglio dépourvu de fondement légal, il revient à la Cour constitutionnelle de rétablir les droits bafoués des candidats invalidés afin de ne pas créer une jurisprudence fâcheuse qui risque à terme de ternir l’image visiblement écornée du droit positif congolais.

  1. Ellipse des recours gracieux

La surprise avait été grande au sein de l’opinion nationale lorsque le nom de l’honorable Justin Kalumba Mwana Ngongo avait été cité parmi les députés proclamés provisoirement élus par la CENI, alors que ce dernier figurait bel et bien sur la liste de 82 candidats préalablement invalidés par la même centrale électorale. A l’analyse, il s’avère qu’à l’instar d’autres regroupements politiques dont les candidats étaient frappés par la mesure d’invalidation, l’Alliance pour l’Avènement d’un Congo Prospère et Grand, AACPG, avait, par la bouche de son Coordonnateur Dieudonné Anis Saleh, demandé à la CENI de rétablir le candidat Justin Kalumba dans ses droits, alléguant que sur les 217 centres et 526 bureaux de vote de la circonscription électorale de Kasongo, aucun cas de fraude, de corruption et de bourrage d’urnes n’avait été enregistré à charge de Justin Kalumba. Dieudonné Amisi Saleh avait, par la même occasion, menacé de saisir la justice si leur candidat n’était pas proclamé provisoirement élu par la CENI. Ce coup de semonce avait-il suffi à faire entendre raison le bureau et la plénière de la CENI ? Toujours est-il que Justin Kalumba a finalement été le seul des 82 candidats incriminé à avoir été gracié par la CENI.

Cependant, après la bronca de la clameur publique sur la sélectivité à tout le moins subjective de la CENI qui n’aurait rétropédalé que sur un seul cas parmi tant d’autres recours gracieux lui soumis, les Congolais ont eu droit, a posteriori, à la publication de la décision N°003/CENI/AP/2024 portant réhabilitation des suffrages du candidat Kalumba Mwana Ngongo Justin dans la circonscription électorale de Kasongo, Province du Maniema. Dans l’exposé des motifs, l’on apprendra que le candidat Justin Kalumba avait, par le biais de la lettre du 08 janvier 2023 de son Regroupement Politique Alliance pour l’Avènement d’un Congo Prospère et Grand (AACPG) adressée à la CENI, introduit un recours gracieux. L’on y apprend également que « lors de sa réunion tenue le 13 janvier 2024 relative à la délibération des résultats à l’élection des Députés Nationaux, l’Assemblée Plénière, après avoir examiné ledit recours, a relevé que les faits mis à charge du candidat précité n’ont pas été établis à suffisance de preuves ». Tout porte à croire que par cette justification tardive, la CENI a tenu à envoyer un signal pour faire croire à l’opinion qu’elle a laissé aux candidats incriminés la possibilité d’apporter leurs moyens de défense avant de proclamer les résultats provisoires. Ce qui est en réalité faux et irrelevant d’autant plus que Justin Kalumba Mwana Ngongo n’était pas le seul à introduire un recours gracieux et qu’il n’y a aucune autre décision de la CENI justifiant le déclassement des recours gracieux de 81 autres candidats invalidés qui, eux-aussi d’après nos investigations, avaient mis un point d’honneur à saisir la CENI par le biais de leurs regroupements politiques respectifs. Il s’ensuit que la CENI semble avoir sérieusement foulé aux pieds les sacro-saints principes de présomption d’innocence et du contradictoire, notamment en prenant à la sauvette des décisions extra legem, outrepassant les attributions lui conférées par la Constitution et les Lois de la République. Une raison de plus pour que la Haute Cour prenne sur elle de corriger ce dysfonctionnement afin de ne pas créer un précédent fâcheux préjudiciable au bon fonctionnement des processus électoraux à venir.

  1. La Haute Cour face à ses responsabilités

Accusés de façon indiscriminée par la CENI de fraude, détention illégale des Dispositifs Electroniques de Vote (DEV), de bourrage d’urnes, incitation à la violence envers les agents électoraux, corruption et autres, les 81 candidats dont les suffrages ont été invalidés en première et dernière instance par la CENI, sans autre forme de procès, n’ont plus que la Cour Constitutionnelle
comme ultime rempart pour obtenir justice et réparation par rapport aux préjudices subis. La raison juridique commande que la Cour constitutionnelle puisse se prononcer sur la recevabilité de leurs requêtes dans les huit jours francs de la saisine, dans l’optique de la confirmation définitive de leur élection. Car en cas d’entérinement hypothétique de la décision de la CENI, la voie serait dangereusement ouverte à l’anomie sur les actes illégaux posés par la centrale électorale, qui se verrait de la sorte immunisée contre toutes sortes de procédures contradictoires, passant ainsi par pertes et profits le principe de la présomption d’innocence garanti par Constitution congolaise à tous les justiciables.

  1. Conclusion

Dans cette affaire de l’invalidation péremptoire des suffrages valablement exprimés en faveur de 82 candidats, il est nécessaire que ceux qui ont été lésés aient au moins la possibilité de saisir une juridiction de l’ordre judiciaire, la Cour Constitutionnelle le cas échéant, pour faire valoir leurs prétentions quant à la violation manifeste de leurs droits. L’application d’une mesure ou d’une décision portant atteinte aux droits fondamentaux et libertés de tiers sans aucune possibilité pour les concernés d’apporter leurs moyens de défense est une absurdité juridique qu’il appartient à la Haute Cour de corriger.

En définitive, notre propos n’est pas à confondre avec un plaidoyer en faveur des récalcitrants qui auraient plombé la transparence du quatrième processus électoral de la troisième République. Si la CENI, dont le bataillon des Conseils a élu domicile aux audiences sur les contentieux électoraux à la Cour Constitutionnelle, dispose effectivement de preuves irréfutables et irréfragables susceptibles d’établir la culpabilité des incriminés, elle peut à bon droit les brandir au cours d’une procédure judiciaire équitable.

Notre conviction est que la justice ne peut pas ne pas donner l’occasion aux justiciables de présenter leurs moyens de défense alors qu’il est établi qu’ils subissent une décision arbitraire et subjective extra legem de la CENI. Le seul moyen de s’assurer de la culpabilité ou non de 82 ou 81 candidats invalidés est de leur accorder leur droit constitutionnel à une procédure judiciaire par devant une juridiction de l’ordre judiciaire, chose que la Cour Constitutionnelle
est la seule à pouvoir faire en dernier ressort, afin de sauver l’image de la justice congolaise durement éprouvée par ce cas d’école.


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