art ousmane sow

Zaïko Langa-Langa :  « Nous ne sommes pas des filles de joie… »

L’interview avec Jossart Nyoka Longo, président de Zaïko Langa-Langa, couvre l’histoire du groupe, ses défis actuels et ses perspectives d’avenir.

C-retro-actuel avait convié dans un grand hôtel de Bruxelles, le Président Nyoka Longo, Prince Bela, Thyro Arthur Mulunda, Jean-Marie Motingia et Strelli Mikobi pour nous entretenir de Zaïko, qui en cette fin d’année 2006, fête ses trente-sept années d’existence.

Une manière rétro-actuelle de faire le bilan de ce patrimoine de la culture congolaise. L’occasion était belle pour nous remémorer la création de Zaïko ; parler de l’avenir des jeunes au sein de ce groupe, de la succession et de leur vie en Europe depuis 4 ans…

C-Retro-Actuel : Bonsoir président. Zaïko fêtera ses 37 ans d’existence dans quelques jours. Pourriez-vous nous expliquer les fondements de ce monument d’Afrique centrale ? L’historique de Zaïko et votre intégration au sein de ce groupe mythique.

Jossart Nyoka Longo : Réaliser l’historique de Zaïko en 2 heures peut sembler un peu court. Zaïko est né de la dissolution du groupe Bel Guide dont je faisais partie. Nous répétions, mais sans jamais nous produire en public. Suite à une audition que fit Papa Wemba avec les quatre co-fondateurs de Zaïko (Henri Mongombe, André Bita, Dela Marcelin et Dévé Moanda), ils furent tellement impressionnés par son talent qu’ils décidèrent de dissoudre Bel Guide et de recréer un nouveau groupe autour de ce dernier. Ils ne gardèrent que Manuaku Waku (guitariste) et moi-même, qui j’étais chantre à l’Église. Viendront s’ajouter Teddy Sukami et Enoch.

C’était le 24 décembre 1969, c’était la première étape et le commencement de l’aventure de Zaïko. Les répétitions se déroulaient dans la propriété familiale de Gégé Mangaya.

 Cra : Avez-vous conservé des contacts ou des relations avec les artistes initiaux du groupe?

JNL : Nos encadreurs ou les artistes musiciens ?

 Cra : Les deux…

JNL : Oui, Gégé Mangaya est toujours avec moi, c’est le chef d’orchestre. Son grand frère, co-fondateur du groupe, est décédé il y a un mois ; Dela Marcelin, avec qui j’ai toujours des contacts, est ici en Belgique. Quant à Manuaku et Evoloko, nous nous contactons par téléphone. Papa Wemba, je le vois de temps à autre. Ceux qui nous ont quittés, encadreurs et artistes, nous leur avons rendu hommage, dans la chanson « Likelemba ».

Cra : Quelles sont les œuvres qui vous ont laissé une empreinte plus profonde que les autres…

JNL : Mes œuvres qui ne sont pas des faits imagés. Des histoires vécues telles que : « Nalali mpongi », « Sensation awa »…

Cra : Et, si on devait retenir quelques titres du groupe Zaïko ?

JNL : En fait, je citerai ceux qui ont marqué les différentes époques telles que : « Onassis »,  » Mété la vérité », « Herrare humanum est »,  » Mbeya Mbeya » ; « Eluzam », « Ndiadia », « Yo Nalinga »… En presque quatre décennies, la liste est trop longue.

Cra : Actuellement au sein du groupe, on retrouve Shou-Lay qui est le fils d’Evoloko, votre collègue d’antan. Que pouvez-vous nous dire du travail de cette nouvelle génération ?

JNL : Je les considère comme mes enfants, mes petits frères… En général, ils ont beaucoup de talent, mais ils ont encore besoin de discipline et de patience.

En notre temps, lorsque nous arrivions dans la musique, chacun de nous avait un maître, un modèle, qui était notre référence. Aujourd’hui, ils arrivent par aventure, ou parce qu’ils ont raté ailleurs, ou parce qu’ils ont une voix ou savent un peu gratter une guitare, ils se font musiciens…

Cra : Quelle est la principale distinction entre vous et cette nouvelle génération ? Qu’est-ce qu’elle apporte de nouveau ?

JNL : Beaucoup d’entre eux ont du talent. Parmi eux, il y a de bons guitaristes et chanteurs ; mais dire qu’ils apportent quelque chose de nouveau, non. Laissons le temps au temps ! Tout ce qu’ils font aujourd’hui, ils l’ont trouvé sur place. C’était également notre cas. Nous sommes arrivés dans les années 1969-1970, nous avons trouvé nos aînés les Franco, Tabu Ley, Simaro à qui nous n’hésitions pas à demander conseil. D’ailleurs, avant notre sortie sur scène, nous avions confié une bande de 8 chansons pour audition à Tabu Ley pour avoir son avis. Il deviendra, par la suite, le parrain du groupe. Nous avons beaucoup appris. Les jeunes actuellement sont impatients sur les plans matériel et artistique.

CRA : La culture bantoue nous enseigne que ce sont les aînés qui doivent guider les jeunes…

JNL : Comme vous dites, dans notre culture bantoue, est-ce le petit frère qui doit trouver l’aîné ou l’inverse ? Et ce n’est pas seulement chez nous, c’est partout pareil.

Cra : Parlons politique. Il y a un an, vous vous plaigniez du manque de politique culturelle, du manque de soutien et de protection de la part de la classe politique congolaise. Qu’en est-il ? Y a-t-il eu un changement ?

JNL : Pour le moment, nous sommes en train de faire la transition. Nous ne savons pas encore où nous allons… rires.

Cra : Est-ce que vous pourriez reformuler ces vœux une fois de plus?

JNL : Oui. Il faudrait des ministres à la place qu’il faut. Un ministre de la Culture qui connaisse réellement les problèmes et les réalités culturelles. Un ministère avec un budget. Au Congo, on a toujours considéré les artistes comme des filles de joie ! On vous utilise en fonction des envies et ensuite, c’est fini.

Cra : Quelles sont vos recommandations pour le futur ministre de la Culture ?

JNL : Avant de penser au futur ministre, il faut d’abord penser au ministère de la culture. Dans les différents gouvernements, le ministère de la culture a toujours été l’avant-dernier ministère. Pour faire une politique culturelle, il faudrait d’abord établir un budget.

Cra : Certains artistes qui ont pris publiquement position pour tel ou tel autre candidat ont parfois été agressés physiquement. Qu’en pensez-vous ?

JNL : Toute personne a ses convictions. Les personnes qui sont mieux placées pour répondre à cette question, vous les connaissez…

Cra : Mais vous, en tant que Nyoka Longo, vous avez un mot à dire. Quel conseil pourriez-vous donner à ces jeunes, qui sont vos enfants et vos frères ?

JNL : Nous attendons le début de la 3ème République. Le passé est le passé… Reconstruisons et ne nous focalisons pas sur les aspects négatifs du passé.

Cra : Revenons à l’actualité musicale. Il y a un an, lors de notre dernière réunion, vous nous avez fait part de la sortie imminente de votre prochain album. Qu’en est-il? Est-il déjà disponible sur le marché ?

JNL : Le projet de l’album est toujours en cours, mais nous sommes très avancés. À moins d’un contretemps, il sera disponible au cours du mois de janvier 2007.

Cra : Parmi les jeunes qui vous entourent, certains finalisent leurs albums. Les encouragez-vous dans leur travail ?

JNL : Ils sont libres. Ce sont des artistes et un artiste ne peut être enfermé dans un bocal. Il n’existe pas de limite pour un créateur. Tout est dans la manière ! Lorsque je parle de manière, c’est de faire les choses clandestinement. Ils font partie d’un groupe. C’est facile de m’aborder en disant : « Grand frère, j’ai mes chansons, je veux faire mon album ». On se met d’accord. Je n’accepte pas qu’ils le fassent clandestinement en utilisant le nom du groupe… Zaïko est un label, une marque déposée. Si vous voulez l’utiliser, il vous faut mon accord !

Cra : Est-ce que certains ont sorti un album sans votre autorisation?

JNL : Volvo a sorti le sien sans notre autorisation. Maintenant, c’est notre conseil qui gère l’affaire.

Cra : N’avez-vous pas peur de désemparer les fans de Zaïko si tous les musiciens du groupe peuvent utiliser ce label à des fins personnelles ?

JNL : En réalité, l’idée vient rarement de mes musiciens, mais plutôt de leurs producteurs, éditeurs ou agents qui veulent se servir du label Zaïko dans le but de commercialiser leurs produits.

Cra : Vous disiez récemment que vous vous sentiez toujours jeune dans la tête, mais que le poids de l’âge se faisait ressentir. On vous prête aussi la réputation de vouloir rester éternel et de ne jamais « lancer » les jeunes. Et le nom de Zaïko est un patrimoine. Avez-vous pensé à votre succession ?

JNL : On ne « lance » pas un jeune parce qu’il vous plaît ou qu’on le trouve bon, gentil, ou sympathique… C’est à lui de conquérir le public et de faire ses preuves par rapport à son savoir-faire et son talent. Il doit franchir les différents échelons qui mènent au succès, et vous ne pouvez pas le faire à sa place. C’est à eux de prendre conscience. Le nom de Zaïko est là, ils jouent, ils dansent… ils sont déjà dans le métier. Ils doivent poser des questions et demander des conseils. Nous sommes à leurs côtés.

Cra : Cela fait quatre années que vous êtes en Europe. On vous attend à Kinshasa. Quand est-ce que Nyoka Longo et son Zaïko rentreront au pays ? Ne cédez-vous pas votre place trop facilement ?

JNL : On aurait pu être à Kinshasa et voir l’éclosion d’autres groupes. Ce n’est pas parce que nous sommes ici ! Si nous sommes en Europe, ce n’est pas pour le plaisir. Nous sommes contraints par certaines choses, entre autres par l’outil de travail. J’ai déjà acquis une bonne partie du matériel et jusque-là, je n’ai jamais fixé de date de retour.

Cra : Comment vivent vos musiciens depuis 2002 ? Quels sont les moyens que vous mettez à leur disposition ?

JNL : Un léger moment d’hésitation… Cette tournée est une bénédiction. Nous avons vécu de nombreux événements : le Zénith, mon arrestation, ma maladie, la régularisation des papiers de mes musiciens… nous avons fait des sacrifices. Nous rentrerons au pays. Je vous ai entendu parler de Zaïko en tant que « patrimoine ».! Bientôt on va me le ravir… (Rires). Nous sommes dans la « merde » pour dire les choses clairement.

Nous vivons par la grâce de Dieu et difficilement ! Que fait l’État congolais pour son « patrimoine » culturel ? Nous ne sommes pas les seuls. Les « Bana Ok » sont également là sans matériel. Je vous ai dit que l’on nous prenait pour des filles de joie. Le jour où on aura besoin de Lutumba, par exemple pour la campagne électorale, on fera à nouveau appel à lui pour qu’il joue ; on lui offrira des instruments… mais entretemps ? L’État congolais ne fait rien pour nous aider. Que fait l’État congolais pour son « patrimoine » culturel ? L’État congolais ne fait rien pour nous aider.

Cra : Si je puis me permettre, n’y êtes-vous pas pour quelque chose, en privilégiant et sollicitant l’aide financière et matérielle d’un grand nombre d’hommes d’affaires et politiciens ? Ils vous aidaient et vous en profitiez !

JNL : Non, je ne suis pas d’accord et cela ne justifie pas le désintéressement total dont l’État congolais fait preuve vis-à-vis du monde de la variété. Ce n’est pas parce que votre frère décide de prendre   en charge l’éducation de votre fils que vous n’avez plus d’obligation à son égard !

Cra : Nous arrivons au terme de notre interview. Quels sont vos vœux pour l’année 2007 ?

JNL : …Si Dieu nous prête vie, d’abord la paix en Afrique en général et au Congo en particulier. Afin que lorsque notre prochain album sortira, nous puissions nous produire dans toutes les provinces du pays. Rencontrer nos fans qui ont beaucoup souffert de la guerre durant toutes ces années. Que tout le monde se retrouve.

Cra : Un grand merci à vous.

 

Olivier Kanza Tito & Tosa Mpoyi

CRETROACTUEL – N°11

Novembre-Décembre 2006/Deuxième année

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Quitter la version mobile
Send this to a friend