art ousmane sow

La biennale d’art de Dakar ; une ambassade pour les artistes congolais ?

Les artistes seraient des êtres à part, dit-on, est-ce pour cette raison que les artistes de la RDC réussissent à tirer leur épingle du jeu?

lartiste congolais alexandre kyungu devant son oeuvre avec lartiste nigerien victor ehikhamenor
L’artiste Congolais Alexandre Kyungu devant son œuvre avec l’artiste Nigerien Victor Ehikhamenor

Nous avons voulu creuser le sujet avec la styliste Rosy Sambwa, dont la créativité s’exprime de différentes manières ; la création de bijoux, le conseil style pour entrepreneurs, la formation sur les « dress code » et, ce qui nous intéresse aujourd’hui : la scénographie : qui est l’ensemble des éléments permettant de mettre en scène une exposition ou un objet. Ce travail permet de mettre l’autre et son travail en lumière. Les artistes contemporains du Congo Kinshasa semblent bien silencieux. Nous voulions échanger à ce propos avec Rosy, qui a mis en scène Shadowing, une exposition qui s’est tenue place du Souvenir Africain, dans le cadre de Dak’Art ; la biennale d’art africain de Dakar.

la gardienne des cauris de la cicatrice lafalaise dion
« La gardienne des cauris » de la créatrice Lafalaise Dion

C-RA : Pourquoi avez-vous fait la scénographie d’une exposition à Dakar ?

Rosy Sambwa : Parce que refuser aurait été de la pure folie ! Il est vrai que lorsque Moe Sow, le curateur de l’exposition m’a demandé de la mettre en scène : j’ai été surprise, mais il n’était pas question que je refuse ! Il s’agit de la plus grande biennale d’art africain au monde, tout de même ! Le palais faisait plus de 450 mètres carrés, ce qui est énorme, mais il m’a dit cette phrase, qui depuis, me trotte dans la tête : « les Congolais font vendre ! » !

C’est ce que je pense, ce que je vois, mais l’entendre formulé par une autre personne, c’est percutant ! Je devais donc être actrice ; pour moi-même, pour les artistes congolais exposés, pour casser ce cicle d’être des spectateurs ! Je n’ai jamais vu autant d’artistes congolais, qu’à Dakar, mais combien de curateurs, galeriste ou autre de la RDC ?

C- RA : Pouvez-vous nous citer quelques artistes avec lesquels vous avez travaillés pour cette exposition ?

Rosy Sambwa : The Slum Studio, un artiste ghanéen qui s’exprime sur des vêtements en coton. Alexandre Kyungu, de Kinshasa ; mon coup de cœur ! Mr. Mucio, qui crée en déteignant des tissus à l’eau de javel. L’artiste brazzavilloise Bill (qui a reçu 3 prix à Dakar, il y a une dizaine d’années) elle présente désormais une vingtaine d’artistes des deux Congo sous son collectif « Les Ateliers de Sahm ». La créatrice Lafalaise Dion qui a exposé sa première sculpture. Waly Sek et Makhtar Diop qui ont collaboré sur une sculpture inspirée par la pandémie. La beauté de cet évènement était que l’expo était complétée par le Pop-Up Shop de Noir Concept, mettant en avant le design africain. Et là, j’ai pu travailler à présenter sous leur meilleur jour les créations d’Aïssa Dione, Ker Dakar, Black is Beautiful by Isabelle, Dr. Marie Diallo, Kalaag Fabric, Kente Gentleman, La falaise Dion, et l’ultra créative Selly Raby Kane, Imady World, etc. Il fallait tout mettre en œuvre pour qu’artistes et designers se sentent respectés, pris en compte, malgré quelques aléas qui ne manquent jamais. Il y a également eu des Talks, des évènements tels que la soirée en partenariat avec le ELLE Côte d’Ivoire, dont les invités de marque étaient Youssoupha et Deborah Mutund, présentatrice du « Chœur des femmes » sur Canal+ ; tous deux originaires de la RDC.

la djette asna
La Djette Asna

C- RA : Quel est votre avis sur l’art et les artistes congolais ? Pourquoi semblent-ils transparents en RDC ?

Rosy Sambwa : Selon moi, tous les Congolais sont naturellement artistes. C’est sans doute pour cela que la plupart ont du mal à prendre l’art et les artistes au sérieux. La donne, change petit à petit car les artistes parviennent à atteindre le baromètre de la réussite selon les critères de l’argent et de la reconnaissance internationale. Mais il est vrai que chaque enfant de ce pays a un don : soit il chante, danse, construit ses propres jouets, a de l’humour ou maîtrise l’art oratoire, dès son plus jeune âge. Dans ces conditions, la place de l’artiste n’est pas simple, comme le dit si bien Ray Lema : « il veut expliquer que, ce que tout le monde fait, il va, lui, en faire un métier ! » Le marché des artistes et artisans, situé à l’époque près de la Gare Centrale, était surnommé : “Le Marché des Voleurs” : ça en dit long.

Mon regard sur ces artistes est plein d’amour. Ils sont les véritables ambassadeurs du pays. Pourquoi je dis cela ? Parce que les artistes savent rendre visible l’âme d’un pays. Ils écoutent, ressentent et représentent de manière physique un bouillonnement imperceptible à l’œil nu. Ils y mettent des images, des couleurs, des mots et un fil conducteur compréhensible par tout un chacun.

oeuvre de waly sek x makhtar diouf
Œuvre de Waly Sek x Makhtar Diouf

C- RA : N’est-ce pas aussi le cas de la musique et du cinéma ? Divers ambassadeurs culturels de ces domaines ont été recensements nommés?

Rosy Sambwa : Plus que la musique et même le cinéma ; les arts plastiques, pénètrent par le biais des curateurs et des mécènes ; dans les Musées, les galeries, les diverses Fondation d’art ; là où se trouvent les décideurs et véritables influenceurs. Là où vont des écoliers et des universitaires : donc là où se forme la pensée. C’est la raison pour laquelle il est important d’être impartial avec les artistes, de les laisser libres ! Ce qu’ils disent sur le pays construit l’image que l’on aura de celui-ci dans le futur ! Lorsque l’on parle de la Renaissance, pense-t-on au fait que les gens jetaient leurs excréments dans les rues ? Non, car les artistes sont passés par là ! La musique reste une question de goûts, l’art une question d’éducation ! Il est vrai qu’étant désormais reconnu « Patrimoine Mondial de l’UNESCO », la Rumba Congolaise et ceux qui la font, peuvent changer de statut, mais il reste encore à écrire son histoire. Des personnes comme Klay Mahungu, ou Barly Baruti, entre autres, y travaillent, ne reste qu’à l’enseigner (cette histoire, aux générations futures).

C- RA : A vous entendre, on pourrait croire que le pouvoir ne va pas sans l’art?

Rosy Sambwa : C’est exactement ce que je dis ! Plus un pays a une vision claire, un plan d’avenir, plus il s’enrichit : mieux il traite ses artistes. Le pouvoir, la puissance ne s’est jamais bâtit sans l’art et la culture. Dubaï, dont tout le monde parle, en quelques dizaines d’années, s’est bâtit une dizaine de Musées. Dakar était d’ailleurs plein d’officiels, si les Ministres de la RDC ne se sont pas déplacés ; le Chef de Mission de l’Ambassade du Congo RD au Sénégal, Nicolas Fataki Lungele est bien conscient des enjeux.

isabelle mbuyamba
Isabelle Mbuyamba, Mme cinéma africain et l’artiste Mucyo devant ses œuvres

C- RA : Votre vision n’est-elle pas réservé aux pays riches ?

Rosy Sambwa : Dès qu’il y a une organisation humaine, une autorité, que ce soit dans un village, une cité ou un pays, il y a pouvoir, et ce pouvoir est suivi de signes de reconnaissance, d’une architecture, d’objets ou de représentations identifiables. Les artistes ont, de tout temps, vécus dans les palais, aux côtés des rois. Nous le voyons tout autour de nous et partout dans le monde. Haïti, considéré comme le pays le plus pauvre a une production artistique. La différence se fait lorsqu’il y a une prise de conscience du Pouvoir en place, qui décide d’accroitre par l’art, son rayonnement. Il existe le pouvoir réel et le pouvoir perçu d’une personne, d’un pays ; l’art aide à ajuster ou faire croître ce pouvoir perçu !

C- RA : Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Rosy Sambwa : Il y a des Présidents et des Premières Dames dont nous n’aurions pas forcément de grands souvenirs, sans l’art ! Je parle ici des Etats-Unis, par exemple, qui ont changés la manière dont le monde les percevait quand Jacqueline Kennedy a fait entrer l’art, le design et la mode américaine, à la Maison Blanche. Je peux également citer Georges Pompidou que beaucoup connaissent grâce au Centre d’Art parisien qui porte son nom. Qu’en est-il de Senghor, dont beaucoup disent que sans son amour pour l’art, le Sénégal n’aurait pas connu son développement actuel ?

Présidents, Pharaons, rois de France, du Mali, d’Angleterre, Empereur de Chine ou du Japon, aucun pouvoir ne s’est établi sans l’art.

Les plasticiens congolais, eux, sont les oubliés du pouvoir, mais ils parviennent, grâce aux curateurs et mécènes étrangers, à se faufiler dans les plus grands rendez-vous d’art contemporain au monde. Le paradoxe est qu’ils forgent la réputation du pays étant respectés, partout où ils passent. Ils sont quasiment les seuls à pouvoir se déployer à ce niveau sans soutien politique, en parvenant au sommet tout en restant transparent pour le pouvoir. Pourtant, à chaque rendez-vous, ils représentent ce pays de par le monde.

installation de the slum studio
Installation de The Slum Studio

C-RA : En vous écoutant, nous pouvons mieux comprendre les raisons qui vous ont poussées à vous mettre à l’arrière-plan pour que d’autres puissent briller.

Rosy Sambwa : Il n’y a rien d’exceptionnel à cela ! J’ai souvent été dans l’ombre cela ne me dérange pas, j’ai besoin de concrétisation plus que de lumière. J’ai pu travailler avec un artiste congolais extrêmement talentueux : Alexandre Kyungu, je vous l’ai dit plus haut, son travail m’a bluffée ! Je ne prends aucun risque en disant qu’il fera partie des 10 artistes congolais marquants, pour ne pas dire les 10 meilleurs. Moins de cinq ans après sa sortie des Beaux-Arts de Kinshasa, il est représenté par une galerie new-yorkaise. Il a exposé, en plus de Dakar, à Art Basel, le principal salon du marché de l’art, pour ne pas dire le plus important au monde. Je l’ai rencontrée grâce à la curatrice Anne Poma, de la Galerie Wetsi, alors qu’il était en résidence au Wiels, le Centre d’art contemporain belge. Son travail, en général et « Les cicatrices de la terre », qu’il a présenté à Dakar, doit-être vu et son discours entendu !

C-RA : Quels sont, selon vous les artistes contemporains (encore en vie) congolais ou d’origine congolaise qui valent la peine d’être vus ?

Rosy Sambwa : C’est difficile, il y en a tellement ! Je fais une sélection selon toute personnelle, ce qui n’est pas très juste… Je citerais évidemment Aimé Mpané, Précy Numby, Freddy Nsimba, Sammy Baloji, Patrick Kamuanga, Hilary Balu, Thonton Kabeya, Nathanael Maza, Alexandre Kyungu et j’ajouterais également, pour l’art culinaire le chef Baby Yumbi. La liste est non exhaustive, bien évidemment !

C- RA : Quel serait votre mot de la fin ?

Rosy Sambwa : La fuite des matières premières comporte aussi la fuite des cerveaux, et notamment, celle des artistes. Je rêve du jour où l’Etat congolais sera le premier mécène de ses artistes. Je sais qu’il y a d’autres priorités, mais la culture est pourvoyeuses de stabilité, d’emplois et de perspectives touristiques.

rosy sambwa
Rosy Sambwa


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